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Bandeau promotionnel de Thomas l’imposteur (1923), premier livre de Cocteau édité par les Éditions de la N.R.F. Hommage de Cocteau dans La Nouvelle N.R.F., n° 72, décembre 1958 : « L’âme exquise de Roger Martin du Gard ».

« En fait, c’était La Nouvelle Revue française qui comptait pour moi, c’était l’approbation de Jacques Rivière, de Ramon Fernandez, d’André Gide surtout », écrit Mauriac dans ses Mémoires intérieurs (1959). Et dans La Rencontre avec Barrès (1945) : « Je la lisais chaque mois jusqu’aux annonces. Littérairement, c’était mon évangile ». Comme Mauriac, comme tant d’autres, une des grandes ambitions de Cocteau est d’être publié dans La Nouvelle Revue française, d’être « approuvé » dans ses fameuses notes critiques, d’être accueilli dans ses manifestations, d’être joué dans « son » théâtre du Vieux-Colombier (projet de ballet David en 1914), d’être publié par le « comptoir » (1911-1919) puis la maison d’édition qu’elle lance à partir de 1911. « On est un snob de l’intellectualisme entre dix-neuf et vingt-cinq ans. La N.R.F. nous fascinait comme a fasciné, jadis, Le Mercure [de France] » (Jean Cocteau, Le Passé défini, V, 24 mars 1957).

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Aux yeux de ceux qui incarnent la ligne dure de la revue, le profil de « prince frivole » de Cocteau est à ses débuts le plus grand obstacle à son intégration. Son article sur Un amour de Swann dans Excelsior du 23 novembre 1913 fait un peu bouger cette image : alors que Gide et Ghéon viennent de refuser le manuscrit de Proust à cause précisément de sa réputation de mondain, (Gide n’a même pas pris la peine d’ouvrir le paquet), elle témoigne d’une pénétration critique inattendue, confirmée par une rencontre à trois le 12 décembre suivant. De là divers projets « N.R.F. » au début de l’année 1914, notamment autour du Potomak, auxquels Jacques Rivière déjà et surtout Jacques Copeau, le directeur en titre, s’opposent : « Il n’existe peut-être pas à l’heure actuelle dans Paris de personnalité plus représentative de ce que nous détestons, de tout ce qui nous est le plus foncièrement ennemi » (lettre de Jacques Copeau à André Gide, 30 janvier 1914).

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Après la fin de sa brouille avec Gide (échange de lettres ouvertes entre mai et octobre 1919, suscitées par Le Coq et l’Arlequin), l’œuvre de Cocteau fait l’objet de comptes rendus réguliers dans La N.R.F., la plupart réticents : Poésies en octobre 1920 et Vocabulaire en juin 1922, par Roger Allard, Le Secret professionnel en novembre 1922, par Jacques Rivière, La Rose de François en mai et Plain-Chant en septembre 1923, par Paul Fierens, etc. Cocteau de son côté veut « décuistrer la N.R.F. » (lettre à Paul Valéry, le 23 juin 1922). Il moque ses hésitations modernistes (« À force de mettre sa lorgnette au point, La N.R.F. ne regarde jamais le spectacle », Le Coq, n° 1, mai 1920), qui la conduisent à un accueil timide et tardif du phénomène Dada en 1921 : « Pauvre Dada sauvage, te voilà rue Madame [bureaux de La N.R.F.] ! Madame se réveille. Madame ouvre son vasistas. Madame sort la tête. Madame rougit, elle n’ose ! Madame tremblante ouvre sa porte. Madame et l’étalon commencent une vraie lune de miel. Mais hélas ! l’étalon n’est pas une tortue. Dada se meurt Dada est mort. Il ne reste à Madame que les garçons d’écurie » (dans la revue 391, la revue de Picabia, juillet 1921).

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1923 marque une embellie, avec la publication de Thomas l’imposteur aux Éditions de la N.R.F. (Paul Valéry y aurait aidé), d’un article de Cocteau dans la revue (sur Le Diable au corps de Radiguet), d’un compte rendu entièrement positif du Grand Écart dans le numéro de juillet 1923 (Jacques de Lacretelle). Sans être complètement à l’abri de la critique, comme en témoigne le compte rendu du Rappel à l’ordre en mai 1926 (Jean Prévost), Cocteau fait dès lors tant bien que mal partie de la maison, tout en lui reprochant de faire le jeu de « la race des intellectuels, des encyclopédistes qui de longue date a tout gâché en France » (« Comme base, c’est La N.R.F. et Paulhan qui empoisonne les lettres », Le Passé défini, IV, 24 décembre 1955). Quand, après un long purgatoire imposé par la direction de Drieu La Rochelle sous l’Occupation, la revue reparaît en janvier 1953 (sous le titre de Nouvelle N.R.F.), Cocteau attendra quatre ans avant d’être sollicité par Paulhan, qui publie en avril 1957 un extrait de La Corrida du 1er mai (un peu arrangé par lui), et en janvier 1958 le poème « Avec des si… ». Malgré le reproche d’intellectualisme qu’il lui fait, Cocteau voit alors dans la revue un lieu où « l’inactualité des œuvres importantes » peut être opposée à « l’actualité monstrueuse qui se mêle de tout » et « embrouille tout » (Le Passé défini, V, 9 novembre 1957).

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En 1956, un autre pont est jeté entre Cocteau et le monde de la N.R.F., par sa rencontre avec Roger Martin du Gard : « Les mondes étrangers avec lesquels on ne croyait avoir aucun contact et brusquement la surprise d’apprendre qu’on se trompe. La lettre de Roger Martin du Gard. » (Le Passé défini, V, 1er mars 1956). Le poète est comme « découvert » par celui qui fut un grand ami de Gide, de Copeau, de Rivière, prix Nobel 1937, mêlé de très près à l’aventure de la N.R.F. mais demeuré à l’écart des décisions le concernant. Une tardive mais solide amitié s’amorce, qui conduit Cocteau à écrire pour La Nouvelle N.R.F. un bel hommage de l’écrivain, mort le 22 août 1958, dont un des premiers livres (Devenir), note-t-il, « était un livre à clef sur ma jeunesse (ma rencontre avec De Max, la séance de théâtre Fémina) » (Le Passé défini, V, 7 janvier 1957).