En mars 1953, Cocteau revoit Charlie Chaplin pour la première fois depuis leur rencontre de 1936 en mer de Chine : « J’étais très ému de le revoir après tant d’années. Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre, au milieu de l’éclair des photographes » (Le Passé défini, 7 mars 1953). Dans les semaines qui suivent, Chaplin, mal vu des autorités américaines en ces temps de maccarthysme et d’anticommunisme aigu, renonce officiellement à rentrer aux États-Unis et s’installe en Suisse. À partir de cette date, Cocteau et lui auront l’occasion de se voir plus facilement.
Durant cette dernière décennie avant la mort du poète, un moment important de leur relation est le voyage que fait Chaplin jusqu’à Villefranche-sur-Mer en juillet 1957, avec sa femme et ses enfants, pour voir la chapelle décorée par Cocteau. « Photographes et journalistes s’entassaient entre les murs et nous. Dehors la foule grossissait. […] Une foule compacte nous attendait dehors et acclama Chaplin très gai, très détendu. » (Le Passé défini, 18 juillet 1957).
La foule, la presse, les flashes, les acclamations… Cocteau décrit cette visite comme un événement majeur, tout en s’élevant un peu curieusement contre le traitement people qu’en fait une presse… qu’il a lui-même :
« Pas une seconde ces journalistes et ces photographes entralertés par ma faute ne se disent que c’est une chose grave pour moi de montrer mon œuvre à Charles. Pas une seconde ils ne pensent à deux travailleurs qui échangent leurs trésors avec crainte et tendresse […] Quelle honte ! J’essaye en vain de les écarter, de les prier d’éteindre les floods qui nous aveuglent. Il s’agit de nous photographier en train de regarder quelque chose qu’ils nous empêchent de voir. Sans la patience de Charles, sans sa bonne grâce, toute la joie que je me promettais à lui montrer la chapelle serait éteinte. »