« Charlie Chaplin […] mérite à lui seul une longue étude que je me réserve d’écrire », annonce Cocteau dans une chronique de Carte blanche. « Ce comédien, tragédien, mime, acrobate, joue partout à la fois » (21 avril 1919). La chronique suivante, entièrement consacrée au cinématographe, fait de Chaplin « le guignol moderne » et vante ses films qui « ne relèvent ni du film-théâtre où le spectateur a la sensation d’être sourd, ni du film-Far-West où le paysage se mêle au drame, ni du film-feuilleton […]. » (28 avril 1919).
L’influence de ce « guignol moderne » sur l’œuvre de Cocteau est repérable dès Le Bœuf sur le toit (1920), dont la musique, écrite par Darius Milhaud et d’abord intitulée « Cinéma-Symphonie », est pensée à l’origine pour accompagner un film de Charlot. Cocteau l’en dissuade et lui propose d’écrire à partir d’elle le scénario d’un spectacle. L’argument imaginé s’inspire lui aussi des courts-métrages de Chaplin, « avec son policeman redoutable et berné, son bar américain, ses fantoches, mais en poussant le modèle au fantastique » (Cahiers Jean Cocteau, n° 7, 1978).
Tenant à la fois du sketch comique, de la pantomime et de la danse, la « farce » du Bœuf sur le toit réalise en février 1920 cette idée de spectacle à la Charlot : « Il s’agissait », confie Cocteau à Comœdia (21 février 1920), « de la régler de telle sorte qu’on pût croire au désordre, à l’improvisation, mais sans le moindre hasard. Charlie Chaplin nous donne l’exemple de ces Farces modernes où il peut atteindre une véritable grandeur. » Le Bœuf sur le toit, c’est « une Farce américaine faite par un parisien qui n’a jamais été en Amérique ».