Dans les années cinquante et soixante, Cocteau a plusieurs fois l’occasion d’exprimer en public son estime pour Aragon comme poète. On a cité l’article paru dans le numéro double d’Europe (octobre-novembre 1957) pour les soixante ans d’Aragon. Un autre hommage, « Esquisse pour un portrait d’Aragon », évoque plus longuement en 1962 le « grand poète, dont les poèmes puisent presque toujours leur pouvoir dans un besoin d’exalter le règne du cœur », et « la coulée des laves ardentes du feu central de son âme, qu’il ne faudrait pas confondre avec un lyrisme verbal ».
Publiée dans un numéro spécial de la revue Points et Contrepoints dédié à Cocteau « Prince des poètes », la « Lettre à Louis Aragon » salue aussi son rôle dans le dénouement d’un rite de la république des Lettres à laquelle Breton, son vieil ennemi de toujours, a donné des proportions démesurées. Paul Fort, « Prince des poètes » depuis 1912, meurt le 20 avril 1960. Qui va le remplacer ? Désigné par une consultation des Nouvelles littéraires, Jules Supervielle meurt le 17 mai. L’élection de Cocteau « à la criée » lors d’une rencontre de poètes le 27 juin est aussitôt contestée par André Breton, qui lance une nouvelle consultation. Un grand article d’Aragon en première page des Lettres françaises du 20 octobre met le point final, en « sacr[ant] d’autorité » Cocteau.