Lettres et arts / Écrivains et poètes

Louis Aragon

Brouille (1920-1932)

Extrait du texte « De la brouille » publié dans La Revue de Paris de juillet 1959 (puis aux éditions Dynamo en 1960, collection « Brimborions », tirage à 40 exemplaires).

« Pourquoi cette méchanceté confuse, méticuleuse à la fois, de vos amis ? », se plaint Cocteau en février 1919 auprès d’Aragon. « La mode est d’écrire du mal de moi partout », écrit-il vers la fin de la même année à son ami Jean Hugo (lettre du 30 octobre suivant). Un des principaux persécuteurs du poète est le leader du futur mouvement surréaliste, André Breton, qui tente aussi de retourner contre lui Tristan Tzara, le promoteur de Dada, avant son arrivée à Paris : Cocteau, lui écrit-il le 26 décembre 1919, est « l’être le plus haïssable de ce temps ». La création du Coq en avril 1920, en guérilla ouverte contre Littérature, semble avoir précipité une rupture définitive symbolisée par le geste de Philippe Soupault crevant un ballon aux initiales de Cocteau lors du Festival Dada du 27 mai suivant, salle Gaveau.
De 1920 jusqu’à 1932 et sa propre rupture avec Breton, Aragon se laisse entraîner par ce « Rimbaud gendarme » (Cocteau) dans sa rage de persécution, sur un mode cependant plus sarcastique que violent, dont témoigne son portrait de Cocteau en « Ange Miracle » dans Anicet ou le Panorama, roman, qui paraît à la fin de 1920 aux éditions de la N.R.F.

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« Hier ai dîné au Relais Bisson avec Francine, Doudou et les Aragon. Louis vide la poubelle surréaliste et raconte tout ce que Breton les obligeait à faire contre ma personne. J’apprends que le fameux coup de téléphone à ma mère lui annonçant mon suicide [le 15 février 1930, au soir de la dernière répétition de La Voix humaine] était l’œuvre de Desnos. »
(Le Passé défini, 10 mai 1956.)

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« Pendant de nombreuses années, le destin nous sépara, nous embusqua de chaque côté d’une barrière de barbelés fantômes, à tel titre que nous cherchons parfois les raisons véritables de cette terrible perte de temps amical.
Bien des étrangers continuaient, malgré les apparences, à nous faire fraterniser, dans un domaine où nous luttions pour les mêmes causes. Car, de loin, les mécanismes de nos discordes demeuraient une énigme. »
(Jean Cocteau, « Anniversaire » [des soixante ans d’Aragon], Europe, n° 142-143, octobre-novembre 1957.)