Table des matières :
I. – Cinématographe et poésie
II. – Hommages et notes
III. – Poésie de cinéma
IV. – Synopsis inédits
Extraits (éd. 2003) :
« … Vraiment, plus j’y songe, plus je craindrais un oubli et quelque vague !
Je me demande même si j’irais au bout de la liste après avoir cité des films qui stupéfieraient les spécialistes (par exemple, j’estime que Parade d’amour est un chef-d’œuvre).
À part cela, Chaplin et Buñuel (L’Âge d’or) me semblent les seuls films dignes de la pauvre muse qu’on empêche toujours d’attendre. C’est le rôle des muses, d’attendre debout.
Tenez, j’allais oublier Les Rapaces de Stroheim et l’extraordinaire film tiré par R. Montgomery de L’homme qui se jouait la comédie. Son titre en France est, je crois, La Force des ténèbres. Ma réponse n’aurait rien de ce que nécessite votre questionnaire.
Il faudrait bavarder ensemble et dresser la liste sur un coin de table… (Festival de Bruxelles, 1958.) » (p. 87)
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« Un des signes de notre époque est de créer des mythes immédiats dans tous les domaines. La presse se charge d’inventer certains personnages qui existent et de les affubler d’une vie imaginaire superposée à la leur.
Brigitte Bardot nous offre un exemple parfait de cet étrange mélange. Il est probable que le destin l’a mise à la place exacte où le rêve et la réalité se confondent. Sa beauté, son talent sont incontestables, mais elle possède autre chose d’inconnu qui attire les idolâtres d’un âge privé de dieux. (Stop, octobre 1962.) » (p. 89)
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« Jacques Becker avait la parole hésitante et confuse au point que je l’ai vu s’y embrouiller jusqu’à une manière de silence, de vague murmure où l’angoisse de mal dire devenait une grâce analogue à celle de l’enfance qui cherche à partager ses trésors. […] (Cahiers du Cinéma, n° 106, avril 1960.) » (p. 91)
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« Lorsque je regarde les anciennes bandes de Charles Chaplin, mon rire n’est plus le même. Je pense à Kafka.
Il était normal que sa grande courbe, dont La Ruée vers l’or est le faîte, aboutît à l’admirable Verdoux.
Pourquoi, lui demandai-je un jour, es-tu triste ?
C’est — me répondit-il — que je suis devenu riche en jouant un pauvre.
Mais s’il a rendu l’invisible visible à tous, il garde une ombre que rien ne peut compromettre.
Cette ombre enveloppera ses derniers films. Elle en écartera ceux qui lui reprochent d’y chercher refuge. (Les Lettres françaises, 3-4-1952.) » (p. 92)
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« La désobéissance peut être considérée comme le plus grand luxe de la jeunesse et rien n’est pire que les époques où la jeunesse trop libre se trouve dans l’impossibilité de désobéir. James Dean représente à mes yeux une sorte d’archange de la désobéissance aux habitudes et son plus bel acte de désobéissance n’est-il pas le terrible refus que sa mort oppose à la gloire qui lui était promise ? Il est pour ainsi dire sorti du monde à la manière d’un écolier qui se sauve de la salle d’étude par la fenêtre et tire la langue aux professeurs. » (p. 98-99)
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« Pauvre Villefranche ! Comment sa poésie tenace, comment les élégances exquises de la flotte anglaise ancrée sous mon balcon léger de marbre et de fer peuvent-elles émouvoir les âmes formées par les élections et par Laurel et Hardy ? Non que je méprise Laurel et Hardy. Je les aime. Ce sont des enfants qui jouent. Il arrive que leurs farces explosent à force de lyrisme et s’achèvent dans le ciel et la mort. Je doute que le public de notre modeste rue du Poilu, prêt à rire au moindre signe de noblesse ou de souffrance, puisse être sensible à la grâce féerique des deux clowns américains. Sensible aux chutes, aux projectiles de vaisselle, aux casseroles sur la tête, aux douches d’eau froide, un point c’est tout. (Paris-Soir, 6-8-1935.) » (p. 107)
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« La France est le pays des accidents, de l’exceptionnel. Jamais elle ne sera le pays de l’usine. Les ouvriers y font preuve de génie pour peu qu’une poigne les soulève. Le Diable au corps nous le démontre. C’est l’exemple type d’une entreprise impossible devenue possible par la légèreté profonde d’une équipe de premier ordre. Rien ne me choque, moi, et c’est l’essentiel.
[…]
Je félicite l’équipe du film Le Diable au corps de ne s’être pliée à aucune des règles des fabricants de fleurs artificielles.
On aime les personnages, on aime qu’ils s’aiment, on déteste avec eux la guerre et l’acharnement public contre le bonheur. (La Revue du Cinéma, n° 7, été 1947.) » (p. 129-130)
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« Il faut aimer les comédiens comme je les aime, leur passer toutes leurs faiblesses, observer avec le cœur cette étonnante écurie de chevaux pur-sang, en comprendre l’orgueil et les malices, pour s’engager dans leur monde de fausses perspectives ». (p. 149)