Spectacles / Théâtre

La Machine infernale

Aux Bouffes-Parisiens

Acte II : la rencontre du Sphinx (Jeanne Moreau) et d’Œdipe (Jean Marais), surveillée par Anubis (Jean Clarens). Programme de la pièce au Théâtre des Bouffes-Parisiens : dessin et texte de l’auteur, photos des acteurs.

« Mon petit Jean,
Je sors de La Machine infernale. C’est toujours admirable. Aussi beau qu’à la lecture, et pourtant je n’aime pas la misérable Popesco. Mais tout le reste est très beau. Très violent et très grand. Jeannot [Jean Marais] a eu des moments d’une grande beauté. C’est une pièce magnifique. Si je te dis des banalités c’est parce que mon langage se banalise mais mes émotions ce soir ont été très grandes. »
(Jean Genet, lettre à Cocteau insérée dans Le Passé défini à la date du 1er octobre 1954.)

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Le 28 septembre, La Machine infernale est repris aux Bouffes-Parisiens à Paris. Cocteau a décidé de la distribution en concertation avec le directeur du théâtre, Albert Willemetz : Elvire Popesco, qu’il pressait en 1933 d’être Jocaste « coûte que coûte », a accepté de reprendre le rôle. Jean Marais est Œdipe, Jeanne Moreau le Sphinx. Le livret-programme des représentations est enrichi de dessins inédits, d’un texte de l’auteur (« Une haute vague de souvenirs ») et de l’article écrit par Colette en 1934, qu’il avait eu l’occasion de relire en mai et trouvé « admirable, baudelairien ». (Le Passé défini, 16 mai 1954).

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Malade à Santo Sospir, Cocteau n’assiste pas aux répétitions, mais s’en console en y voyant un « exemple » pour le « règne posthume des poètes » : « Paris ne supporte pas deux présences ; la mienne et celle de mes œuvres. Il lui faut démolir l’une ou l’autre. Si je veux rendre une œuvre visible, je dois disparaître, ne pas me mettre devant » (Le Passé défini, 14 septembre 1954). L’avant-première exceptionnelle du 22 septembre semble lui donner raison (salle comble, dix-huit rappels), ainsi que la répétition générale du 28 septembre, qui est « une chose incroyable », lui téléphone Jean Marais : « on criait, on acclamait, on riait, on pleurait, on retrouvait le passé mort » (Le Passé défini, 29 septembre 1954). La presse est dans l’ensemble très bonne. Cependant la représentation à laquelle Cocteau peut enfin assister fin novembre le déçoit un peu, et la raison qu’il en donne va à l’inverse de ses premières remarques sur la nécessité de s’effacer pour mieux laisser la place à son œuvre : « D’après moi (et je n’en ai pas fait part) il manque une sorte de fluide, de bain liant le tout — sans doute à cause de mon absence ». (Cocteau, Le Passé défini, 25 novembre 1954.)