Cocteau a trouvé chez Nietzsche un modèle et une pensée qui l’ont aidé à se défaire du symbolisme mièvre et maladif de ses débuts et à surmonter son complexe vis-à-vis des intellectuels. Du philosophe de la danse, il a retenu le culte de l’effort et de la souffrance créatrice. Dans la biographie de Nietzsche, il a aimé les épisodes les plus romantiques (Wagner et Cosima), y discernant une forme de kitsch sublime qui constitue une des composantes les plus constantes de sa propre écriture, en particulier au théâtre. La poursuite obstinée du travail créateur au risque de la folie est aussi un de ses leitmotive, comme on le voit dans Le Passé défini.
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Quelques citations de Cocteau soulignant ses parentés et ses convergences de pensée avec Nietzsche, la première dans Le Coq et l’Arlequin, les suivantes dans le tome V du Passé défini, les trois dernières dans le tome VI :
« Il faut être un homme vivant et un artiste posthume. »
« Le paragraphe 112 du Gai Savoir est sans doute ce qui a été écrit de plus fort par un philosophe : “La grande gifle aux intellectuels”. Mais hélas que vaut une gifle si elle n’est pas reçue, si elle ne rencontre aucune joue ? La défense des intellectuels consistant à recevoir les gifles sans en tenir compte. »
« Ce matin, télégramme de Natalie [Paley] : “Jean, je t’aime.” On pense à celui de Nietzsche : “Ariane je t’aime.” »
« J’attache, comme Nietzsche, la plus grande importance au régime qu’on se trouve. Le mien consiste à dormir sept heures, à manger la nuit, vers une heure, un yaourt (ce goût de dessous de bras n’est pas désagréable). »
« Il est très rare que je surprenne mon nom prononcé à la radio sans intention moqueuse ou désagréable. Voyez comment la France récompense cinquante ans d’exercice d’un sacerdoce des lettres comparables à celui de Nietzsche et de Goethe. »
« Je suis terriblement viril comme Nietzsche, et je ne supporte pas les vieilles filles. Surtout si ce sont des hommes. »
« Il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre que le drame de Nietzsche fut une homosexualité refoulée jusqu’à l’angoisse. »
« À Sils, on prenait Nietzsche pour un excentrique, un drôle, une sorte d’idiot de village. C’est ce qui explique que la mercière […] dit à Sieburg en me désignant : “Er ist ein anderer Nietzsche”, il est rigolo. C’est un autre Nietzsche. »