L’Aigle à deux têtes apparaît aujourd’hui, dans la filmographie de Jean Cocteau, comme un film un peu délaissé. Le théâtre, son pittoresque, sa pompe d’un autre âge l’ont éloigné du goût et de la sensibilité de notre temps. Séduction et impureté du baroque. Il en reste cependant des éclats : l’extraordinaire chute de Jean Marais dans le grand escalier, la beauté impérieuse d’Edwige Feuillère. Quelques-uns des cinéastes les moins frivoles de la génération suivante ne dédaignèrent pas ces strass dont le conformisme de l’ennui trouve avantageux de se moquer. Alain Resnais, dans Mon oncle d’Amérique, montre à plusieurs reprises des images de L’Aigle à deux têtes et surprise plus délicieuse encore, Jean-Luc Godard se souvient de son émerveillement de jeune homme de dix-huit ans devant les amours de la reine et du beau Stanislas… On sait depuis Descartes que, dans le grenier des œuvres rigoureuses, il y a souvent une grande poupée cassée.