« Les illustrations du Livre blanc (1930) s’éloignent des péripéties du récit pour tendre à une sorte de surréalité érotique », remarque Pierre Chanel dans Jean Cocteau poète graphique, Chêne/Stock, Paris, 1975. Seuls quelques-uns des dix-huit dessins s’inspirent de l’histoire, comme le portrait du marin Pas-de-Chance ou l’étonnant premier dessin d’un garçon à trois visages surmontés de trois étoiles, évocation des « trois circonstances décisives » de son enfance, à la fois bénies et fatales, à la faveur desquelles le héros s’éveille au désir du sexe masculin.
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Chez Cocteau, la plus évidente des fonctions de l’image est d’exprimer, plus directement et souvent plus crûment que les mots, son attirance pour la beauté masculine. Le corps nommé, décrit, regardé en face reste rare dans l’œuvre écrite, tandis qu’il s’épanche joyeusement dans l’image, se montrant sans honte, jusqu’aux limites, souvent franchies, de la lubricité voire de la pornographie.
En ne signant pas le texte du Livre blanc, mais en acceptant de reconnaître les dessins qui l’illustrent, Cocteau semble en fait clairement indiquer qu’il y a pour lui davantage d’impudeur à traiter de l’érotisme par le texte que par le dessin. C’est au dessin, et au-delà à l’expression graphique, de montrer le corps nu dans ce qu’il a de plus nu ; tandis que l’écriture, sans fuir le sexe comme sujet, n’aborde ses postures qu’en les codant et s’arrêtera ordinairement devant le mot choquant et l’obscénité anatomique.
C’est la violation de cet interdit qui fascina Cocteau lorsqu’il découvrit les premiers textes de Jean Genet.