À partir de 1909, Cocteau publie régulièrement dans la presse périodique des articles, dessins, poèmes et textes en prose. Il fonde aussi et anime plusieurs revues éphémères : Schéhérazade (1909-1911), Le Mot (1914-1915), Le Coq (Le Coq parisien à partir du n° 3) (1920-1921).
En 1919, les vingt articles de Carte blanche dans Paris-Midi, chaque lundi du 31 mars au 11 août 1919, représentent sa première collaboration suivie à la presse grand public. « Sous ce titre, je me propose de mettre chaque semaine le lecteur au courant des valeurs nouvelles. Entre l’Académie et le Boulevard, il ignore tout. Ce vide est la cause de graves malentendus », avertit Cocteau en commençant.
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Carte blanche alterne « des articles de clan et des articles d’intérêt général », lit-on dans la dernière livraison. La série reflète les centres d’intérêt de Cocteau. Elle permet de cerner les contours de son goût « français » et ses attaches artistiques, à travers des sujets finalement assez ciblés. Pêle-mêle : les Éditions de la Sirène, « le charmant Marinetti », Marcel Herrand, le premier concert du groupe (qui ne s’appelle pas encore « des Six ») après l’armistice, Juan Gris, Chaplin et Mistinguett, le cinématographe, Derain, Pierre Bertin, le Bal Tabarin, Matisse, Parade à la salle Gaveau le 11 mai 1919, les bals musette, le jazz, Landru, Max Jacob, la « douche écossaise des bonnes et des mauvaises audaces » qui déroute la « petite élite bien intentionnée » qui suit les spectacles, expositions, conférences et publications des artistes à Paris, etc.
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Le sous-titre ajouté à l’édition en volume, « Portrait de journalisme », suggère une distance par rapport à l’exercice : comme dans Parade, dans Les Mariés de la Tour Eiffel bientôt, dont le texte « a l’air trop simple, trop lisiblement écrit » (préface de 1922 au ballet), l’auteur sous-entend qu’il est bien conscient des obligations de style du média de masse. Dans le dernier article de Carte blanche, il confie parler « un peu gros, un peu “livre d’images”, un peu A. B. C., un peu bébête, pour frapper le lecteur qui déjeune et regarde rapidement l’article, quitte à mettre le journal dans sa poche et à reprendre chez soi ce qui ne peut être parcouru. »
Il faut attendre les années trente pour que Cocteau adopte de façon ostensible une posture d’écrivain journaliste et fasse de l’écriture de presse, non seulement un gagne-pain, mais une stratégie majeure de conquête de publics ciblés.