« Je me suis mis à peindre par fatigue de l’encre et par un besoin de changer de véhicule, d’expulser ce qui m’encombre par d’autres portes. Je me suis mis à peindre parce que j’avais découvert que l’acte de peindre nous sort de nous-mêmes au point de nous anesthésier, de nous rendre insensibles à ce qui n’est pas le tableau. »
(Jean Cocteau, Démarche d’un poète, 1953.)
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C’est à Munich que Cocteau expose, outre des dessins et deux tapisseries, ses premières peintures. Son entrée en peinture, qui date de 1951, ne se fait pas sans crainte et, de même que la publication ou l’exposition de ses dessins n’allaient pas sans préface d’excuse ou de justification, sur le thème du « dessin de poète », de même dans sa préface au catalogue de Munich, il commence par affirmer qu’il n’est pas peintre de métier. Une première préface publiée dans Le Passé défini, allait jusqu’à dire qu’il n’avait pas pour cette raison le droit de peindre : « N’étant pas peintre et n’ayant pas le droit de peindre, sauf dans la mesure où je m’estime libre d’employer n’importe quel véhicule expressif, j’ai dû me poser des problèmes et les résoudre à ma manière » (préface rédigée en juin 1951, insérée à la date du 2 août suivant).
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Ces scrupules expliquent le choix de Munich pour exposer ces peintures : « La France, c’est la famille, et la famille vous eng… toujours. Moi, je veux bien exposer, mais je ne veux pas m’exposer » (à Claude Benedik, interview reprise dans Le Passé défini, I). De même quand, après l’Allemagne et l’Autriche, l’exposition arrive en France, Cocteau choisit de la présenter à Nice (galerie des Ponchettes, 9 février-8 mars 1953) pour des raisons analogues :
« La présente exposition a eu les honneurs de la Pinacothèque de Munich. Elle a voyagé de Munich à Hambourg, de Hambourg à Berlin. Mais l’auteur n’oserait pas affronter les juges de Paris qui risqueraient de le prendre pour un peintre.
À Nice, ce n’est pas la même chose. Nice est une ville rassurante et je ne la traverse jamais sans ressentir le calme que nous vaut sa grâce. Exposer au bord de la mer de cette vieille Nice, toute jeune, même après Matisse, Chagall, Renoir, ce n’est pas s’exposer. Non. C’est prendre contact avec des amis, des camarades, des promeneurs qui s’abritent quelques minutes au soleil dans la galerie des Ponchettes. »