Dans deux articles publiés avant et après la création (« À vol d’oiseau sur Les Mariés de la tour Eiffel », La Danse, 9 juin 1921 ; « Après Les Mariés de la tour Eiffel », périodique non identifié), Cocteau décrit son projet et ses intentions et fait un bilan. Une longue préface rédigée en 1922, publiée en 1923 dans Les Œuvres libres en même temps que le texte de la pièce, puis dans l’édition originale en 1924, approfondit et couronne ce travail d’explication.
Elle inscrit Les Mariés de la tour Eiffel à la suite de Parade et du Bœuf sur le toit, comme un exemple de « poésie de théâtre », laquelle est opposée à la « poésie au théâtre » dont le théâtre symboliste est alors l’illustration la plus manifeste : « L’action de ma pièce est imagée tandis que le texte ne l’est pas. J’essaie donc de substituer une “ poésie de théâtre ” à la “ poésie au théâtre ”. La poésie au théâtre est une dentelle délicate impossible à voir de loin. La poésie de théâtre serait une grosse dentelle ; une dentelle en cordages, un navire à la mer. Les Mariés peuvent avoir l’aspect terrible d’une goutte de poésie au microscope. Les scènes s’emboîtent comme des mots. »
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Contre la pénombre symboliste, son goût du mystère, des symboles, Cocteau veut jouer franc-jeu : « Les Mariés de la tour Eiffel, à cause de leur franchise, déçoivent davantage qu’une pièce ésotérique. Le mystère inspire au public une sorte de crainte. Ici, je renonce au mystère. J’allume tout, je souligne tout. Vide du dimanche, bétail humain, expressions toutes faites, dissociations d’idées en chair et en os, férocité de l’enfance, poésie et miracle de la vie quotidienne : voilà ma pièce, si bien comprise par les jeunes musiciens qui l’accompagnent. »
Le spectacle propose donc un texte simple « comme les alphabets d’école », très « LISIBLEMENT ÉCRIT », rendu burlesque par le débit précipité des phonographes, amplifié par leur diction « noire comme de l’encre, aussi grosse et aussi nette qu’une réclame ». Un texte sans nuances et sans images, puisque Cocteau prend le parti d’imager l’action et non les dialogues : tout est visible sur scène, surligné par des phonographes réglant les entrées et sorties des « numéros » comme des compères de revue, et dont les commentaires ont la même fonction que les sous-titres du cinéma muet.
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Cette « franchise » se retrouve dans le choix de mettre en scène des types de comédie-bouffe, sans psychologie, sans nuance, au contour de carte postale ; de faire entendre des musiques populaires (marche militaire, marche nuptiale, marche funèbre) ; de montrer des danses de bal musette, des pantomimes, des scènes de cartes postales (noce, baigneuse, etc.), une action loufoque (chasse à l’autruche, faux mirage du lion, chasse aux dépêches, vente de la noce). Le spectacle enchaîne avec rapidité et bonne humeur une « suite de lieux communs » bien emboîtés. En effet : « Le public vient au théâtre pour se détendre. Il est habile de l’amuser, de lui montrer les pantins et les sucreries qui permettent d’administrer une médecine aux enfants rebelles. La médecine prise, nous passerons à d’autres exercices. »