« Le balletomane est un type très spécial dont j’ai vu d’extraordinaires exemples. Tel fut le général Bezobrazow qui suivait le Ballet russe de Serge de Diaghilew, hantait les coulisses et traversait en silence le tourbillon des danseuses, des Sylphides ou des archers du Prince Igor. Tel est Serge Lido, mais armé d’un appareil de photographe. Sans l’amour qu’il porte à tout ce qui touche à la danse, cet appareil ne servirait à rien. Il photographierait. Il statufierait un vertige.
Or, c’est le cœur même de Lido qui anime l’appareil suspendu à son cou. Comme le fantôme du général Bezobrazow, Lido hante les coulisses, chaque fois que notre théâtre se hausse jusqu’à la grande gesticulation.
C’est par un mélange de l’objectif et de l’âme qu’il obtient d’innombrables figures où le mouvement s’arrache de la mort. Il arrive que les photographies immobiles d’un film suggèrent souvent davantage que le film lui-même. Il arrive que les documents de Lido nous fassent rêver d’un ballet où le poids humain n’existerait plus, où le cadre de la scène deviendrait la vitre de quelque fabuleux aquarium. »
(Jean Cocteau, « Préface » en hommage à Serge Lido pour Masques, 1947.)