Émigrée aux États-Unis pendant la guerre, Marianne Oswald revient en France en 1946. Une série d’émissions lui est consacrée du 21 avril au 26 mai 1947, sous le titre « Le retour de Marianne Oswald ». Chaque émission est introduite par l’hommage d’une personnalité : Cocteau d’abord, puis Albert Camus, Jacques Prévert, Georges Ribemont-Dessaignes, Pierre Seghers et Gaston Bonheur.
Naturellement, Anna la bonne figure au programme de l’émission préfacée par Cocteau.
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« Voilà bien des années, hélas oui, nous ne faisions que craindre encore l’orage. Nous le ressentions avec notre peau, comme le bétail. Marianne nous apporta cette misère noble, cette tendresse âpre, cette force insolente qui nous manquait parmi les belles vamps pessimistes du cinématographe. En chandail, et sous sa tignasse rousse, elle se posait au bout du piano, toute droite, semblable à la flamme d’une lampe juive. Et là, elle devenait un Poil de carotte porté à une puissance extrême, une Judith adorant et injuriant la tête d’Holopherne, quelque chose de très neuf et de vieux comme le monde, dont Jacques Prévert et moi nous nous éprîmes. Nous lui avons confié des textes simples, elle en a fait des drames et d’une petite chanson parlée de moi, Anna la bonne, elle a fait une véritable pièce en un acte, dont Renoir a voulu faire un film [projet inconnu]. D’autres femmes ont récité cette chanson sans musique. Elles ne peuvent aller plus loin, elles récitent.
Alors puisque Marianne était partie, j’écoutais ses disques, et de la boîte noire sortait la voix inimitable, insupportable, odieuse, merveilleuse. Et elle, je l’attendais, et elle est là, devant ce microphone. Elle vous parle. »
(Jean Cocteau, extrait de l’hommage à Marianne Oswald dans l’émission du 21 avril 1947.)